Jacques Derrida, Politiques de l'amitié.pdf

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© Editions Galilée, 1994.
9, rue Linné, 75005 Paris.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement
ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre
français d'exploitation du droit de copie (CFC), 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris.
ISBN 2-7186-0438-7
ISSN 0768-2395
Jacques Derrida
Politiques de l'amitié
suivi de
L'oreille de Heidegger
Galilée
« Dès lors les absents même sont présents [...] et,
ce qui est plus difficile à dire, les morts vivent... »
« Quocirca et absentes adsunt [...] et,
quod difficilius dictu est, mortui vivunt... »
Cicéron, Laelius de Amicitia
Avant-propos
Cet essai ressemble à une longue préface. Ce serait plutôt l'avant-
propos d'un livre que j'aimerais écrire un jour.
Sous sa forme présente, ouverte par un vocatif (« O mes
amis [...]»), il a donc la forme d'une adresse - risquée, sans la
moindre assurance, lors de ce qui fut seulement la première séance
d'un séminaire donné sous ce titre, Politiques de l'amitié, en 1988-89.
Le trajet d'une telle introduction s'étend ici très largement, certes,
mais il est strictement respecté tout au long de son argumentation,
étape par étape, dans sa scansion, dans son schéma logique comme
dans la plupart de ses références. Ainsi s'explique, si elle ne se justifie
pas, la forme inchoative du propos : préliminaire plutôt que pro-
grammatique.
J'espère préparer plus tard la publication d'une série de travaux de
séminaires à l'intérieur de laquelle celui-ci vint en vérité s'inscrire, bien
au-delà de cette seule séance d'ouverture, y présupposant ainsi ses
prémisses et son horizon. Ceux qui le précédèrent immédiatement, donc,
il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici cet enchaînement, avaient
concerné La nationalité et le nationalisme philosophiques (1. Nation,
nationalité, nationalisme [1983-84], 2. Nomos, Logos, Topos [1984-85],
3. Le théologico-politique [1985-86], 4. Kant, le Juif, l'Allemand [1986-
87]) et Manger l'autre (Rhétoriques du cannibalisme) [1987-88]. Et ceux
qui le suivirent concernaient les Questions de la responsabilité à travers
l'expérience du secret et du témoignage [1989-93].
Si, artifice ou abstraction, je détache ici l'une de ces nombreuses
séances, et seulement la première pour l'instant, c'est que, pour des
raisons apparemment contingentes, elle donna lieu à quelques confé-
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Politiques de l'amitié
rences '. De surcroît, elle se trouve avoir été déjà publiée à l'étranger
sous des versions un peu différentes et en général abrégées 2 . C'est aussi
le cas du texte ajouté en annexe, L'oreille de Heidegger. Il appartient
au même ensemble 3 .
Au cours de l'année académique 1988-89, chaque séance s'ouvrit
sur ces mots de Montaigne, citant un propos rapporté d'Aristote : « O
mes amis, il n'y a nul amy ». Pour en essayer ensuite, semaine après
semaine, les voix, les tons, les modes, les stratégies, pour relancer ensuite
l'interprétation ou en faire tourner, comme sur elle-même, la scénogra-
phie. Ce texte-ci rejoue en prenant son temps, il représente une seule
séance, la première. Cette représentation répète donc moins qu'un
premier acte, une sorte d'avant-première scène. Tout autre chose qu'une
scène primitive, sans doute, bien qu'à revenir si régulièrement sous les
traits du frère, enjeu sensible de cette analyse, la figure de l'ami semble
spontanément appartenir à une configuration familiale, fraternaliste et
donc androcentrée du politique.
Pourquoi l'ami serait-il comme un frère ? Rêvons d'une amitié qui se
porte au-delà de cette proximité du double congénère. Au-delà de la
parenté, la plus naturelle comme la moins naturelle, quand elle laisse
sa signature, dès l'origine, sur le nom comme sur le double miroir d'un
tel couple. Demandons-nous ce que serait alors la politique d'un tel
« au-delà du principe de fraternité ».
Méritera-t-elle encore le nom de « politique » ?
La même question vaut pour tous les « régimes politiques », sans
doute, mais elle est sans doute plus grave pour ce qu'on appelle la
démocratie, si du moins l'on y entend encore un nom de régime, ce
qui, on le sait, aura toujours été problématique.
Le concept du politique s'annonce rarement sans quelque adhérence
de l'État à la famille, sans ce que nous appellerons une schématique de
la filiation : la souche, le genre ou l'espèce, le sexe (Geschlecht), le sang,
1. En particulier devant l 'American Philosophical Association, Washington, en 1988
et, lors d'un colloque de l'Association Jan Hus, à l'Institut français de Prague en 1990.
2. Sous forme d'article (en anglais : « Politics of Friendship », dans The Journal of
Philosophy, vol. LXXXV, n° 11, novembre 1988, New York ; une version plus longue
de cet article est parue dans American Imago, Studies in Psychoanalysis and Culture,
vol. 50, Fall 1993, Johns Hopkins University Press, Baltimore, numéro spécial, Love,
Thomas Keenan, Spécial Editor, tr. G. Motzkin, M. Syrotinski, Th. Keenan ; en italien,
dans Aut Aut, mars-avril 1991, 242, tr. M. Ferraris, Milan) ; et en tchèque sous forme
de livre (Politiky Prâtelstvi, tr. K. Thein, Philosophia, Prague, 1994).
3. « Heidegger's Ear, Philopolemology (Geschlecht IV) », tr. John P. Leavey Jr., dans
Reading Heidegger, éd. by John Sallis, Indiana University Press, 1993.
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