Nouvelles de Chretiente, nr 126.pdf

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Nouvelles de Chrétienté 77
Nouvelles de Chrétienté
N° 126 – novembre / décembre 2010
Bimestriel - le numéro 3,50 €
C es moines qui rebâtissent
Introduction à la lecture de Notre Charge apostolique
Analyses sur la vie de l’Eglise
la Civilisation Chrétienne
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E ditorial
S ommaire
N oël pour l amour de m arie
u ne Condamnation
marquante
Une introduction à la lecture
de Notre Charge apostolique ,
la Lettre encyclique du pape
saint Pie X qui condamnait le
mouvement du Sillon.
P/3
Il fut un temps où Noël était vraiment
la fête de la Nativité du Sauveur. Noël était alors
synonyme de joie, l’immense et profonde joie de
savoir que le Messie était venu racheter les pauvres
pécheurs. Dans la vie quotidienne qui était en ce
temps-là chrétienne, lorsqu’on laissait éclater sa
joie, on s’écriait tout simplement : Noël ! Noël !
Il n’y avait pas de Pères Noël salariés
par des centres commerciaux pour relancer la
consommation des ménages. Et un poète anonyme
pouvait dire sa foi, chanter sa joie en un Noël pour
l’amour de Marie .
C élébration des 40 ans
de la F raternité s aint -
P ie X auX e tats -u nis
Un soir, bien tard, en Bethléem ;
Ceux qui tenaient hôtellerie
Ne les prisaient pas grandement.
Un symposium était organisé aux
Etats-Unis les 15, 16 et 17 octobre
2010 pour célébrer les 40 ans de
la Fraternité Saint-Pie X.
P/9
S’en allèrent parmi la ville,
D’huis en huis leur logis querant ;
A l’heure, la Vierge Marie
Etait bien près d’avoir enfant.
S’en allèrent chez un riche homme
Logis demander humblement,
Et on leur répondit en somme :
«Avez-vouschevauxlargement?
C es moines qui
rebâtissent la
Civilisation Chrétienne
-Nousn’avonsqu’unbœufetunâne;
Voyez-lesciprésentement.
-Vousnesemblezquetruandaille;
Vous ne logerez point céans. »
(…)
Joseph va retrouver Marie,
Quiavaitlecœurtrèsdolent,
En lui disant : « Ma chère amie,
Nelogerons-nousautrement?
« Nous avons la grâce, à
Bellaigue, de faire revivre une
ancienne abbaye cistercienne.»
P/15
J’ai vu là une vieille étable,
Logeons-nous-ypourleprésent.»
A l’heure, la Vierge Marie
Etait bien près d’avoir enfant.
“v ous êtes moine ,
restez donC moine !”
A minuit, en cette nuitée,
La douce Vierge eut enfant ;
Dans les solitudes boisées du
Nouveau-Mexique, au sud
des États-Unis, un monastère
bénédictin est en train de voir le
jour...
P/21
Sa robe n’était pas fourrée
Pour l’envelopper chaudement.
Elle le mit en une crèche,
Sous un peu de foin seulement ;
Une pierre dessous sa tête,
Pour reposer le Roi puissant.
Crédit photo pour l’ensemble du numéro :
The Angelus Press/Luxvera/archives FSSPX
Joseph et Marie s’en allèrent,
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Une introduction à la lecture de Notre Charge apostolique
u ne Condamnation marquante
u ne introduCtion à la leCture de N otrE C hargE apostoliquE
a utour de la célébratioN deS 30 aNS de l ’i NStitut S aiNt -p ie X, uN colloque était orgaNiSé à p ariS , le
6 Novembre 2010, Sur le thème de S aint P ie X et la Politique . p our cette occaSioN , l abbé c hriStiaN
t houveNot a doNNé uNe coNféreNce Sur la coNdamNatioN du mouvemeNt du S illoN . N ouS vouS eN propo -
SoNS uN réSumé .
p ar l abbé c hriStiaN t houveNot
I l y a cent ans étaient
condamnés par le pape saint Pie X
le mouvement du Sillon, ses chefs
et ses idées. En guise d’introduc-
tion à la lecture de cette Lettre
encyclique adressée à l’épiscopat
français le 25 août 1910, il n’est pas
inutile d’apporter quelques éclai-
rages historiques avant d’abor-
der l’étude de cette condamnation
marquante.
1. Q uelQues repères
historiQues
C’est en 1893 que le jeune
Marc Sangnier réunit, dans la
crypte du collège Stanislas, à Paris,
un groupe d’élèves se déinissant
comme “de jeunes démocrates ca-
tholiques”. Cette année-là, Maurice
Blondel soutient sa thèse, L’Action ,
qui voudrait réhabiliter – d’un point
de vue philosophique – la légitimité
du problème religieux par un nou-
veau rapport, vital et existentiel, en
phase avec la pensée moderne.
Nous sommes peu après
l’encyclique de Léon XIII, Rerum
novarum (15 mai 1891), qui déinit,
face au libéralisme et à son frère
ennemi, le socialisme, les condi-
tions d’une véritable politique so-
ciale chrétienne. Nous sommes
surtout juste après le Ralliement de
Léon XIII (1892), qui a dénié aux
catholiques français le droit de su-
bordonner les intérêts de l’Eglise
à la restauration monarchique. En
commandant une loyale soumis-
sion aux pouvoirs établis – c’est la
doctrine traditionnelle de l’Eglise –
le pape semble abandonner toute
hostilité de principe à l’égard d’un
régime né de la Révolution et anti-
chrétien, persécuteur de la religion.
Aussitôt ressurgit le catholicisme
libéral, contenu sous Pie IX et qui,
depuis longtemps, prônait la ré-
conciliation et le mariage même de
l’Eglise avec les principes de 1789.
Justement chez Marc
Sangnier, tout juste âgé de 20 ans,
« la Cause » qu’il s’agit de défendre
et pour laquelle il organise son
mouvement, est dès l’origine dé-
mocratique et chrétienne ; dé-
mocratique parce que chrétienne.
Marc captive bientôt les audi-
toires, et, enhardi par ses succès et
au risque de passer pour un exal-
té ou un illuminé, sacralise la dé-
mocratie, en fait la quintessence
de l’Evangile, n’hésitant pas à pro-
phétiser des temps nouveaux et
le règne de la fraternité univer-
selle : « Puissions-nous , écrit-il
le 25 avril 1900, hâter l’aube des
3
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Nouvelles de Chrétienté Nº 126
novembre - décembre 2010
temps nouveaux où le peuple,
ayant retrouvé son Christ, ap-
prendra dans ses divins em-
brassements ce qu’est la véri-
table démocratie, fondée dans
le sang du Calvaire ».
Sur le terrain, le Sillon est
d’abord un mouvement de jeunes
catholiques, ardents, pieux et ap-
paremment soumis à l’Eglise.
Aussi le mouvement se répand-il
rapidement dans tous les diocèses
de France. En 1904 une déléga-
tion se rend à Rome, aux pieds de
saint Pie X qui la reçoit afectueu-
sement. Car le Sillon (le premier
Sillon) apparaît comme un mou-
vement de jeunes apôtres enthou-
siastes, préoccupés du salut des
pauvres et des ouvriers, désireux de
les convertir et de les christianiser.
Pourtant, il init par in-
quiéter. A titre d’exemple, en
1907 – l’année de Pascendi , l’ency-
clique démasquant et condam-
nant le modernisme – l’archevêque
de Cambrai, Mgr Delamaire, ex-
prime dans une lettre son « anxié-
té en présence d’un mouvement
qui, à un moment donné, fut si gé-
néreux et si plein de promesses et
qui, soudain, laisse s’en aller vers
de si mauvaises voies une partie
de ceux qu’il a entraînés ». Le 25
janvier 1909, il publie un mande-
ment où il prend ses distances très
clairement : « Le vrai et le faux, le
bien et le mal, l’utile et le dange-
reux sont tellement mélangés dans
le Sillon… que je me sens obligé par
mon devoir pastoral d’en détourner
tous nos catholiques ». L’année sui-
vante, en 1910, c’est la condamna-
tion du mouvement par le Pontife
romain.
tueuse et bienveillante” du pape à
ses meilleurs enfants un peu trop
turbulents. D’ailleurs, ne manque-
t-on pas de faire remarquer, le pape
saint Pie X lui-même avait haute-
ment loué la jeunesse et le zèle du
mouvement de Marc Sangnier. Ce
qui est vrai.
té de la foi et à l’intégrité de la dis-
cipline catholique, de préserver les
idèles des dangers de l’erreur et
du mal, surtout quand l’erreur et
le mal leur sont présentés dans un
langage entraînant, qui, voilant le
vague des idées et l’équivoque des
expressions sous l’ardeur du senti-
ment et la sonorité des mots, peut
enlammer les cœurs pour des
causes séduisantes mais funestes.
Telles ont été naguère les doc-
trines des prétendus philosophes
du dix-huitième siècle, celles de la
Révolution et du libéralisme tant
de fois condamnées ; telles sont
encore aujourd’hui les théories du
Sillon, qui, sous leurs apparences
brillantes et généreuses, manquent
trop souvent de clarté, de logique
et de vérité, et, sous ce rapport, ne
relèvent pas du génie catholique et
français ».
C’était en 1904, le 11 sep-
tembre, au cours d’un pèlerinage.
Le pape exhortait Marc Sangnier
et ses jeunes à “un apostolat vrai-
ment fécond” en faisant preuve de
force et de courage « pour conser-
ver la foi quand d’autres la perdent,
pour rester ils dévoués de l’Eglise
quand beaucoup d’autres la com-
battent, pour garder le trésor pré-
cieux de la parole de Dieu quand
tant d’autres l’ont banni de leurs
âmes. Il faut de la force et du cou-
rage pour se vaincre soi-même,
pour dompter ses propres passions,
pour rester idèles à la vérité et à
la vertu et pour dominer l’esprit du
mal, qui trompe le monde par le
mensonge ».
Mais six ans plus tard, le 25
août 1910, le pape met le doigt sur
les graves défaillances, les erreurs
et les dangers que charrie le Sillon,
surtout quand ces erreurs et ces
dangers se dissimulent sous “des ap-
parences brillantes et généreuses”.
C’est le début de l’encyclique :
En efet “nos espérances
ont été en grande partie trompées”,
avoue le pape. Face aux “doctrines
de la Révolution et du libéralisme”,
face aux “iniltrations libérales et
protestantes”, le Sillon a d’abord
accusé “des tendances inquié-
tantes”, il “s’égarait”. Ses chefs se
sont montrés des “âmes fuyantes”,
“usant de subterfuges” :
« Les choses en sont venues à ce
point que nous trahirions notre
devoir, si nous gardions plus long-
temps le silence. Nous devons
la vérité à nos chers enfants du
Sillon, qu’une ardeur généreuse
a emportés dans une voie aus-
si fausse que dangereuse. Nous
la devons à un grand nombre de
séminaristes et de prêtres que le
Sillon a soustraits, sinon à l’autori-
té, au moins à la direction et à l’in-
luence de leurs évêques ; nous la
devons enin à l’Eglise, où le Sillon
sème la division et dont il compro-
met les intérêts ».
2. u ne condamnation
solennelle
La lettre Notre Charge apos-
tolique est d’abord une condamna-
tion, ferme et sans appel. Il faut in-
sister sur ce point car une certaine
historiographie moderne tend à
gommer la force de cette condam-
nation. On voudrait n’y voir qu’un
“blâme” ou une “admonition afec-
Emportés par leur zèle à
convertir les masses, les jeunes du
Sillon ont inalement “glissé dans
l’erreur”, ils “ont ouvertement
rejeté le programme tracé par
« Notre Charge apostolique nous
fait un devoir de veiller à la pure-
4
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Une introduction à la lecture de Notre Charge apostolique
Léon XIII” et, “au rebours de la
doctrine catholique”, ils poursui-
vent à présent “un idéal condam-
né” en s’appuyant « sur une théo-
rie contraire à la vérité [qui] fausse
les notions essentielles et fonda-
mentales qui règlent les rapports
sociaux dans toute société hu-
maine ». Le Sillon sème parmi la
jeunesse catholique “des notions
erronées et funestes sur l’autori-
té, la liberté et l’obéissance”, ou
encore sur la justice, l’égalité et la
fraternité, et enin et plus que tout
sur la véritable dignité humaine.
Saint Pie X établit un diagnostic
très sévère :
féra dissoudre son mouvement et
poursuivre son combat sous une
autre forme…
Mais l’important pour
nous, à cent ans de distance, est
de se demander ce qui s’est pas-
sé, quels sont les errements si fu-
nestes qui ont conduit un mouve-
ment d’apostolat si prometteur à
rejoindre le vaste courant d’apos-
tasie à l’œuvre dans les sociétés
modernes.
cyclique de saint Pie X veut
confondre des chefs responsables
de tant d’errements. Aussi les pré-
sente-t-il comme des idéalistes,
des novateurs et de dangereux rê-
veurs.
1) Des idéalistes
« La vérité est que les chefs du Sillon
se proclament des idéalistes irré-
ductibles, qu’ils prétendent relever
« Le soule de la Révolution a
passé par là, et nous pouvons
conclure que, si les doctrines so-
ciales du Sillon sont erronées, son
esprit est dangereux et son éduca-
tion funeste ».
Le verdict est net : « dans
son action comme dans sa doc-
trine, le Sillon ne donne pas satis-
faction à l’Eglise ». Pire, il la com-
promet : « Il y a erreur et danger
à inféoder, par principe, le catho-
licisme à une forme de gouverne-
ment [la démocratie moderne] ;
erreur et danger qui sont d’autant
plus grands lorsqu’on synthétise la
religion avec un genre de démo-
cratie dont les doctrines sont er-
ronées. »
Non seulement le Sillon
compromet l’Eglise, mais “il
convoie le socialisme l’œil ixé
sur une chimère” ; il conduit au
“grand mouvement d’apostasie or-
ganisé dans tous les pays”. Aussi
le pape achève-t-il sa lettre ency-
clique en exigeant la soumission
des chefs aux évêques et l’aban-
don “des erreurs du passé”. Soit
les Sillonnistes sont catholiques et
agissent conformément à la doc-
trine de l’Eglise, soit ils “persévè-
rent dans leurs anciens errements”
et alors il faudra agir “avec pru-
dence et fermeté”, par des sanc-
tions et des interdictions. On sait
que Marc Sangnier se soumet-
tra apparemment, quoiqu’il pré-
A gauche, Marc Sangnier en 1895, alors qu’il était élève à Polytechnique. A droite, plu-
sieurs années plus tard. Il sera notamment député et un fervent militant républicain.
3. l e vrai visage du s illon
les classes laborieuses en relevant
d’abord la conscience humaine,
qu’ils ont une doctrine sociale et
des principes philosophiques et re-
ligieux pour construire la société
sur un plan nouveau, qu’ils ont une
conception spéciale de la digni-
té humaine, de la liberté, de la jus-
tice et de la fraternité, et que, pour
justiier leurs rêves sociaux, ils en
appellent à l’Évangile, interprété
à leur manière, et, ce qui est plus
grave encore, à un Christ déiguré
et diminué. »
Le problème de Marc
Sangnier, c’est qu’il était dépour-
vu de principes. Il voulait « al-
ler à Dieu de toute son âme »,
mais comment ? En caressant une
chimère, ou plutôt l’utopie de vou-
loir instaurer une humanité nou-
velle fondée sur la dignité de la
personne humaine. A travers des
mots sans doute généreux et vé-
hiculant de grands idéaux – ceux
de l’Evangile mêlés à ceux de la
Révolution – il entendait plan-
ter au cœur de son grand Sillon le
noyau de la Cité future, promet-
tant un avenir radieux dès lors
qu’adviendrait la démocratie reli-
gieuse universelle, synonyme (ou
singerie) du royaume de Dieu pro-
mis par le Messie. L’utopie socia-
liste qu’il entrevoyait se confon-
dait, s’enlammait-il, avec l’œuvre
de Jésus-Christ.
Face à cette corrup-
tion politique de l’Evangile, l’en-
Ils tournent l’Evangile à
leur proit, en vue de leur Cause.
Il ne s’agit plus de christianiser
la démocratie ou le régime répu-
blicain (selon le programme de
Léon XIII), mais de démocratiser
le christianisme, d’en faire un fer-
ment de révolution, pour transfor-
mer et changer la société humaine
en vue d’édiier la cité future. Voilà
l’erreur, elle touche à la in même
de l’Eglise, à sa constitution et à sa
mission, et plus largement à la na-
ture même de la société :
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Zgłoś jeśli naruszono regulamin