Un dilemme - Joris-Karl Huysmans.pdf

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The Project Gutenberg EBook of Un dilemme, by Joris-Karl Huysmans
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Title: Un dilemme
Author: Joris-Karl Huysmans
Release Date: December 20, 2007 [EBook #23940]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN DILEMME ***
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http://gallica.bnf.fr)
J. K. HUYSMANS
Un dilemme
PARIS
TRESSE & STOCK
Librairie-Éditeurs
8, 9, 10, 11, GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS
PALAIS-ROYAL
1887
Tous droits réservés
À LA MÊME LIBRAIRIE:
Il a déjà paru dans cette collection in-32 à 2 fr. le volume
• Henri Beauclair. Le Pantalon de Madame Desnou.
• Léon Hennique. Pœuf.
• Henri Beauclair. Ohé! l'artiste.
• Paul Adam. La Glèbe.
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Dijon. Imp. Darantiere.
L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leur droit de traduction et de reproduction.
Ce volume a été déposé au Ministère de l'intérieur (section de la librairie) en novembre 1887.
DU MÊME AUTEUR:
MARTHE
LES SŒURS VATARD
EN MÉNAGE
L'ART MODERNE
À REBOURS
À VAU-L'EAU
CROQUIS PARISIENS
EN RADE
En préparation:
LÀ-BAS
IL A ÉTÉ TIRÉ À PART
dix exemplaires de cet ouvrage, sur papier de Hollande et dix exemplaires sur papier du Japon,
numérotés à la presse.
I
Dans la salle à manger meublée d'un poêle en faïence, de chaises cannées à pieds tors, d'un buffet en
vieux chêne, fabriqué à Paris, rue du Faubourg Saint-Antoine, et contenant, derrière les vitres de ses
panneaux, des réchauds en ruolz, des flûtes à champagne, tout un service de porcelaine blanche,
liseré d'or, dont on ne se servait du reste jamais; sous une photographie de Monsieur Thiers, mal
éclairée par une suspension qui rabattait la clarté sur la nappe, maître Le Ponsart et M. Lambois
plièrent leur serviette, se désignèrent d'un coup d'œil la bonne qui apportait le café et se turent.
Quand cette fille se fut retirée, après avoir ouvert une cave à liqueur en palissandre, M. Lambois
jeta un regard défiant du côté de la porte, puis, sans doute rassuré, prit la parole.
—Voyons, mon cher Le Ponsart, fit-il à son convive, maintenant que nous sommes seuls, causons
un peu de ce qui nous occupe; vous êtes notaire; au point de vue du droit, quelle est la situation
exacte?
—Celle-ci, répondit le notaire, en coupant avec un canif à manche de nacre qu'il tira de sa poche, le
bout d'un cigare: votre fils est mort sans postérité, ni frère, ni sœur, ni descendants d'eux; le petit
avoir qu'il tenait de feue sa mère doit, aux termes de l'article 746 du Code civil, se diviser par moitié
entre les ascendants de la ligne paternelle et les ascendants de la ligne maternelle; autrement dit, si
Jules n'a pas écorné son capital, c'est cinquante mille francs qui reviennent à chacun de nous.
—Bien.—Reste à savoir si, par un testament, le pauvre garçon n'a pas légué une partie de son bien à
certaine personne.
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—C'est un point qu'il est, en effet, nécessaire d'éclaircir.
—Puis, continua M. Lambois, en admettant que Jules possède encore ses cent mille francs, et qu'il
soit mort intestat, comment nous débarrasserons-nous de cette créature avec laquelle il s'est mis en
ménage? Et cela, ajouta-t-il, après une minute de réflexion, sans qu'il y ait, de sa part, tentative de
chantage, ou visite scandaleuse venant nous compromettre dans cette ville.
—C'est là le hic; mais j'ai mon plan; je pense expulser la coquine sans grosse dépense et sans éclat.
—Qu'est-ce que vous entendez par «sans grosse dépense»?
—Dame, une cinquantaine de francs au plus.
—Sans les meubles?
—Bien entendu, sans les meubles... Je les ferai emballer et revenir ici par la petite vitesse.
—Parfait, conclut M. Lambois qui rapprocha sa chaise du poêle à la porte chatière duquel il tendit
péniblement son pied droit gonflé de goutte.
M e Le Ponsart humait un petit verre. Il retint le cognac, en sifflant entre ses lèvres qu'il plissa de
même qu'une rosette.
—Fameux, dit-il, c'est toujours le vieux cognac qui vient de l'oncle?
—Oui, l'on n'en boit pas de pareil à Paris, fit d'un ton catégorique M. Lambois.
—Certes!
—Mais voyons, reprit le notaire, bien que mon siège soit fait, comme l'on ne saurait s'entourer de
trop de précautions, récapitulons, avant mon départ pour la capitale, les renseignements que nous
possédons sur le compte de la donzelle.
Nous disons que ses antécédents sont inconnus, que nous ignorons à la suite de quels incidents votre
fils s'est épris d'elle, qu'elle est sans éducation aucune;—cela ressort clairement de l'écriture et du
style de la lettre qu'elle vous a adressée et à laquelle, suivant mon avis, vous avez eu raison de ne
pas répondre;—tout cela est peu de chose, en somme.
—Et c'est tout; je ne puis que vous répéter ce que je vous ai déjà raconté; quand le médecin m'a
écrit que Jules était très malade, j'ai pris le train, suis arrivé à Paris, ai trouvé la drôlesse installée
chez monsieur mon fils et le soignant. Jules m'a assuré que cette fille était employée chez lui, en
qualité de bonne. Je n'en ai pas cru un traître mot, mais, pour obéir aux prescriptions du médecin qui
m'ordonnait de ne pas contrarier le malade, j'ai consenti à me taire et, comme la fièvre typhoïde
s'aggravait malheureusement d'heure en heure, je suis resté là, subissant jusqu'au dénouement la
présence de cette fausse bonne. Elle s'est d'ailleurs montrée convenable, je dois lui rendre cette
justice; puis le transfert du corps de mon pauvre Jules a eu lieu sans retard, vous le savez. Absorbé
par des achats, par des courses, je n'ai plus eu l'occasion de la voir et je n'avais même plus entendu
parler d'elle, lorsqu'est arrivée cette lettre où elle se déclare enceinte et me demande, en grâce, un
peu d'argent.
—Préludes du chantage, fit le notaire, après un silence.—Et comment est-elle, en tant que femme?
—C'est une grande et belle fille, une brune avec des yeux fauves et des dents droites; elle parle peu,
me fait l'effet, avec son air ingénu et réservé, d'une personne experte et dangereuse; j'ai peur que
vous n'ayez affaire à forte partie, maître Le Ponsart.
—Bah, bah, il faudrait que la poulette ait de fières quenottes pour croquer un vieux renard tel que
moi; puis, j'ai encore à Paris, un camarade qui est commissaire de police et qui pourrait, au besoin,
m'aider; allez, si rusée qu'elle puisse être, j'ai plusieurs tours dans mon sac et je me charge de la
mater si elle regimbe; dans trois jours l'expédition sera terminée, je serai de retour et vous
réclamerai, comme honoraires de mes bons soins, un nouveau verre de ce vieux cognac.
—Et nous le boirons de bon cœur, celui-là! s'écria M. Lambois qui oublia momentanément sa
goutte.
—Ah! le petit nigaud, reprit-il, parlant de son fils. Dire qu'il ne m'avait point jusqu'alors donné de
tablature. Il travaillait consciencieusement son droit, passait ses examens, vivait même un peu trop
en ours et en sauvage, sans amis, sans camarades. Jamais, au grand jamais, il n'avait contracté de
dettes et, tout à coup, le voilà qui se laisse engluer par une femme qu'il a pêchée où? je me le
demande.
—C'est dans l'ordre des choses: les enfants trop sages finissent mal, proféra le notaire qui s'était mis
debout devant le poêle et, relevant les basques de son habit, se chauffait les jambes.
En effet, continua-t-il, le jour où ils aperçoivent une femme qui leur semble moins effrontée et plus
douce que les autres, ils s'imaginent avoir trouvé la pie au nid, et va te faire fiche! la première venue
les dindonne tant qu'il lui plaît, et cela quand même elle serait bête comme une oie et malhabile!
—Vous aurez beau dire, répliqua M. Lambois, Jules n'était cependant pas un garçon à se laisser
dominer de la sorte.
—Dame, conclut philosophiquement le notaire, maintenant que nous avons pris de l'âge, nous ne
comprenons plus comment les jeunes se laissent si facilement enjôler par les cotillons, mais
lorsqu'on se reporte au temps où l'on était plus ingambe, ah! les jupes nous tournaient aussi la tête.
Vous qui parlez, vous n'avez pas toujours laissé votre part aux autres, hein? mon vieux Lambois.
—Parbleu!—Jusqu'à notre mariage, nous nous sommes amusés ainsi que tout le monde, mais enfin,
ni vous, ni moi, n'avons été assez godiches pour tomber—lâchons le mot—dans le concubinage.
—Évidemment.
Ils se sourirent; des bouffées de jeunesse leur revenaient, mettant une bulle de salive sur les lèvres
goulues de M. Lambois et une étincelle dans l'œil en étain du vieux notaire; ils avaient bien dîné, bu
d'un ancien vin de Riceys, un peu dépouillé, couleur de violette; dans la tiédeur de la pièce close,
leurs crânes s'empourpraient aux places demeurées vides, leurs lèvres se mouillaient, excitées par
cette entrée de la femme qui apparaissait maintenant qu'ils pouvaient se désangler, sans témoins, à
l'aise. Peu à peu, ils se lancèrent, se répétant pour la vingtième fois leur goût, en fait de femmes.
Elles ne valaient aux sens de M e Le Ponsart que boulottes et courtes et très richement mises. M.
Lambois les préférait grandes, un peu maigres, sans atours rares; il était avant tout pour la
distinction.
—Eh! la distinction n'a rien à voir là-dedans, le chic parisien, oui, disait le notaire dont l'œil
s'allumait de flammèches; ce qui importe, avant tout, c'est de ne pas avoir au lit une planche.
Et il allait probablement exposer ses théories sensuelles quand un coucou sonnant bruyamment
l'heure, au-dessus de la porte, l'arrêta net. Diable! fit-il, dix heures! Il est temps que je regagne mes
pénates si je veux être levé assez tôt demain pour prendre le premier train. Il endossa son paletot;
l'atmosphère plus fraîche de l'antichambre refroidit l'ardeur de leurs souvenirs. Les deux hommes se
serrèrent la main, soucieux, sentant, maintenant que les visions de femmes s'étaient évanouies, leur
haine s'accroître contre cette inconnue qu'ils voulaient combattre, pensant qu'elle leur disputerait
chaudement une succession à laquelle ce monument de justice qu'il révéraient, à l'égal d'un
tabernacle, le Code, leur donnait droit.
II
Maître Le Ponsart était établi, depuis trente années, notaire à Beauchamp, une petite localité située
dans le département de la Marne; il avait succédé à son père dont la fortune, accrue par certaines
opérations d'une inquiétante probité, avait été, dans les lentes soirées de la province, un inépuisable
aliment de commérages.
Une fois ses études terminées, M e Le Ponsart, avant de retourner au pays, avait passé à Paris
quelque temps chez un avoué où il s'était initié aux plus perfides minuties de la procédure.
D'instincts déjà très équilibrés, il était l'homme qui dépensait sans trop lésiner son argent, jusqu'à
concurrence de telle somme; s'il consentait, pendant son stage à Paris, à gaspiller tout en parties
fines, s'il ne liardait pas trop durement avec une femme, il exigeait d'elle, en échange, une
redevance de plaisirs tarifiée suivant un barême amoureux établi à son usage; l'équité en tout, disait-
il; et, comme il payait, pièces en poches, il croyait juste de faire rendre à son argent un taux de joies
usuraire, réclamait de sa débitrice un tant pour cent de caresses, prélevait avant tout un escompte
soigneusement calculé d'égards.
À ses yeux, il n'y avait que la bonne chère et les filles qui pussent représenter, en valeur, la dépense
qu'elles entraînaient; les autres bonheurs de la vie dupaient, n'équivalaient jamais à l'allégresse que
procure la vue de l'argent même inactif, même contemplé au repos, dans une caisse; aussi usait-il
constamment des petits artifices usités dans les provinces où l'économie a la tenacité d'une lèpre; il
se servait de bobêchons, de brûle-tout, afin de consumer ses bougies jusqu'à la dernière parcelle de
leurs mèches, faisait, ne pouvant supporter sans étourdissements le charbon de terre et le coke, de
ces petits feux de veuves où deux bûches isolées rougeoient à distance, sans chaleur et sans
flammes, courait toute la ville pour acquérir un objet à meilleur compte et il éprouvait une
satisfaction toute particulière à savoir que les autres payaient plus cher, faute de connaître les bons
endroits qu'il se gardait bien, du reste, de leur révéler, et il riait sous cape, très fier de lui, se jugeant
très madré, alors que ses camarades se félicitaient devant lui d'aubaines qui n'en étaient point.
De même que la plupart des provinciaux, il ne pouvait aisément dans un magasin tirer son porte-
monnaie de sa poche; il entrait avec l'intention bien arrêtée d'acheter, examinait méticuleusement la
marchandise, la jugeait à sa convenance, la savait bon marché et de meilleure qualité que partout
ailleurs, mais, au moment de se décider, il demeurait hésitant, se demandant s'il avait bien
réellement besoin de cette emplette, si les avantages qu'elle présentait étaient suffisants pour
compenser la dépense; de même encore que la plupart des provinciaux, il n'eût point fait laver son
linge à Paris par crainte des blanchisseuses qui le brûlent, dit-on, au chlore; il expédiait le tout en
caisse, par le chemin de fer, à Beauchamp, parce que, comme chacun sait, à la campagne, les
blanchisseuses sont loyales et les repasseuses inoffensives.
En somme, ses penchants charnels avaient été les seuls qui fussent assez puissants pour rompre
jusqu'à un certain point ses goûts d'épargne; singulièrement circonspect lorsqu'il s'agissait d'obliger
un ami, M e Le Ponsart n'eût pas prêté la plus minime somme à l'aveuglette, mais plutôt que
d'avancer cent sous à un camarade qui mourait de faim, il eût, en admettant qu'il ne pût se dérober à
ce service, offert de préférence à l'emprunteur un dîner de huit francs, car il prenait au moins sa part
du repas et tirait un bénéfice quelconque de sa dépense.
Son premier soin, quand il revint à Beauchamp, après la mort de son père, fut d'épouser une femme
riche et laide; il eut d'elle une fille également laide, mais malingre, qu'il maria toute jeune à M.
Lambois qui atteignait alors sa vingt-cinquième année et se trouvait déjà dans une situation
commerciale que la ville qualifiait de «conséquente.»
Devenu veuf, M e Le Ponsart avait continué d'exploiter son étude, bien qu'il ressentît souvent le
désir de la vendre et de retourner se fixer à Paris où la supercherie de ses adroites prévenances ne se
fût pas ainsi perdue dans une atmosphère tout à la fois lanugineuse et tiède.
Et pourtant où eût-il découvert un milieu plus propice et moins hostile? Il était le personnage le plus
considéré de ce Beauchamp qui ne lui marchandait pas son admiration en laquelle entraient, pour
dire vrai, du respect et de la peur. Après les éloges qui accompagnaient généralement son nom, cette
phrase corrective se glissait d'habitude: «C'est égal, il fait bon d'être de ses amis,» et des
hochements de tête laissaient supposer que M e Le Ponsart n'était point un homme dont la rancune
demeurait inactive.
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