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La Dame aux camélias
Alexandre Dumas fils
La Dame aux camélias
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Alexandre Dumas fils
La Dame aux camélias
roman
Préface de Jules Janin
La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 750 : version 1.0
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La Dame aux camélias
Édition de référence :
Nelson Éditeurs / Calmann-Lévy Éditeurs, Paris
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Mademoiselle Marie Duplessis
Il y avait en l’an de grâce 1845, dans ces années
d’abondance et de paix où toutes les faveurs de l’esprit,
du talent, de la beauté et de la fortune entouraient cette
France d’un jour, une jeune et belle personne de la
figure la plus charmante qui attirait à elle, par sa seule
présence, une certaine admiration mêlée de déférence
pour quiconque, la voyant pour la première fois, ne
savait ni le nom ni la profession de cette femme. Elle
avait en effet, et de la façon la plus naturelle, le regard
ingénu, le geste décevant, la démarche hardie et décente
tout ensemble, d’une femme du plus grand monde. Son
visage était sérieux, son sourire même était imposant, et
rien qu’à la voir marcher, on pouvait dire ce que disait
un jour Elleviou d’une femme de la cour : Évidemment,
voici une fille ou une duchesse.
Hélas ! ce n’était pas une duchesse, elle était née au
bas de l’échelle difficile, et il avait fallu qu’elle fût en
effet belle et charmante, pour avoir remonté d’un pied
si léger les premiers échelons, dès l’âge de dix-huit ans
qu’elle pouvait avoir en ce temps-là. Je me rappelle
l’avoir rencontrée un jour, pour la première fois, dans
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un abominable foyer d’un théâtre du boulevard, mal
éclairé et tout rempli de cette foule bourdonnante qui
juge d’ordinaire les mélodrames à grand spectacle. Il y
avait là plus de blouses que d’habits, plus de bonnets
ronds que de chapeaux à plumes, et plus de paletots
usés que de frais costumes ; on causait de tout, de l’art
dramatique et des pommes de terre frites ; des pièces du
Gymnase et de la galette du Gymnase ; eh bien, quand
cette femme parut sur ce seuil étrange, on eût dit qu’elle
illuminait toutes ces choses burlesques ou féroces, d’un
regard de ses beaux yeux. Elle touchait du pied ce
parquet boueux, comme si en effet elle eût traversé le
boulevard un jour de pluie ; elle relevait sa robe par
instinct, pour ne pas effleurer ces fanges desséchées, et
sans songer à nous montrer, à quoi bon ? son pied bien
chaussé, attaché à une jambe ronde que recouvre un bas
de soie à petits jours. Tout l’ensemble de sa toilette était
en harmonie avec cette taille souple et jeune ; ce visage
d’un bel ovale un peu pâle répondait à la grâce qu’elle
répandait autour d’elle comme un indicible parfum.
Elle entra donc ; elle traversa, la tête haute, cette
cohue étonnée, et nous fûmes très surpris, Listz et moi,
lorsqu’elle vint s’asseoir familièrement sur le banc où
nous étions, car ni moi ni Listz ne lui avions jamais
parlé ; elle était femme d’esprit, de goût et de bon sens,
et elle s’adressa tout d’abord au grand artiste ; elle lui
raconta qu’elle l’avait entendu naguère, et qu’il l’avait
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