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La fille du capitaine
Alexandre Pouchkine
LA FILLE DU CAPITAINE
(1836)
Table des matières
CHAPITRE II LE GUIDE ........................................................ 13
CHAPITRE III LA FORTERESSE .......................................... 26
CHAPITRE IV LE DUEL ........................................................ 36
CHAPITRE V LA CONVALESCENCE ....................................47
CHAPITRE VI POUGATCHEFF .............................................57
CHAPITRE VII L’ASSAUT ..................................................... 70
CHAPITRE VIII LA VISITE INATTENDUE ......................... 80
CHAPITRE IX LA SÉPARATION .......................................... 90
CHAPITRE X LE SIÈGE ........................................................ 98
CHAPITRE XI LE CAMP DES REBELLES ..........................109
CHAPITRE XII L’ORPHELINE ............................................123
CHAPITRE XIII L’ARRESTATION ...................................... 133
CHAPITRE XIV LE JUGEMENT ..........................................142
Biographie ............................................................................. 155
À propos de cette édition électronique ................................. 157
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
CHAPITRE I
LE SERGENT AUX GARDES
Mon père, André Pétrovitch Grineff, après avoir servi dans sa
jeunesse sous le comte Munich 1 , avait quitté l’état militaire en
17… avec le grade de premier major. Depuis ce temps, il avait
constamment habité sa terre du gouvernement de Simbirsk, où il
épousa Mlle Avdotia, 1 ere fille d’un pauvre gentilhomme du
voisinage. Des neuf enfants issus de cette union, je survécus seul ;
tous mes frères et sœurs moururent en bas âge. J’avais été inscrit
comme sergent dans le régiment Séménofski par la faveur du
major de la garde, le prince B…, notre proche parent. Je fus censé
être en congé jusqu’à la fin de mon éducation. Alors on nous
élevait autrement qu’aujourd’hui. Dès l’âge de cinq ans je fus
confié au piqueur Savéliitch, que sa sobriété avait rendu digne de
devenir mon menin. Grâce à ses soins, vers l’âge de douze ans je
savais lire et écrire, et pouvais apprécier avec certitude les
qualités d’un lévrier de chasse. À cette époque, pour achever de
m’instruire, mon père prit à gages un Français, M. Beaupré, qu’on
fit venir de Moscou avec la provision annuelle de vin et d’huile de
Provence. Son arrivée déplut fort à Savéliitch. « Il semble, grâce à
Dieu, murmurait-il, que l’enfant était lavé, peigné et nourri. Où
avait-on besoin de dépenser de l’argent et de louer un moussié ,
comme s’il n’y avait pas assez de domestiques dans la maison ? »
1 Célèbre général de Pierre le Grand et de l’impératrice Anne.
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Beaupré, dans sa patrie, avait été coiffeur, puis soldat en
Prusse, puis il était venu en Russie pour être outchitel , sans trop
savoir la signification de ce mot 2 . C’était un bon garçon, mais
étonnamment distrait et étourdi. Il n’était pas, suivant son
expression, ennemi de la bouteille, c’est-à-dire, pour parler à la
russe, qu’il aimait à boire. Mais, comme on ne présentait chez
nous le vin qu’à table, et encore par petits verres, et que, de plus,
dans ces occasions, on passait l’outchitel , mon Beaupré s’habitua
bien vite à l’eau-de-vie russe, et finit même par la préférer à tous
les vins de son pays, comme bien plus stomachique. Nous
devînmes de grands amis, et quoique, d’après le contrat, il se fût
engagé à m’apprendre le français, l’allemand et toutes les
sciences, il aima mieux apprendre de moi à babiller le russe tant
bien que mal. Chacun de nous s’occupait de ses affaires ; notre
amitié était inaltérable, et je ne désirais pas d’autre mentor. Mais
le destin nous sépara bientôt, et ce fut à la suite d’un événement
que je vais raconter.
Quelqu’un raconta en riant à ma mère que Beaupré s’enivrait
constamment. Ma mère n’aimait pas à plaisanter sur ce chapitre ;
elle se plaignit à son tour à mon père, lequel, en homme expéditif,
manda aussitôt cette canaille de Français . On lui répondit
humblement que le moussié me donnait une leçon. Mon père
accourut dans ma chambre. Beaupré dormait sur son lit du
sommeil de l’innocence. De mon côté, j’étais livré à une
occupation très intéressante. On m’avait fait venir de Moscou une
carte de géographie, qui pendait contre le mur sans qu’on s’en
servît, et qui me tentait depuis longtemps par la largeur et la
solidité de son papier. J’avais décidé d’en faire un cerf-volant, et,
profitant du sommeil de Beaupré, je m’étais mis à l’ouvrage. Mon
père entra dans l’instant même où j’attachais une queue au cap de
Bonne-Espérance. À la vue de mes travaux géographiques, il me
secoua rudement par l’oreille, s’élança près du lit de Beaupré, et,
2 Qui veut dire maître, pédagogue. Les instituteurs étrangers l’ont
adopté pour nommer leur profession.
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réveillant sans précaution, il commença à l’accabler de reproches.
Dans son trouble, Beaupré voulut vainement se lever ; le pauvre
outchitel était ivre mort. Mon père le souleva par le collet de son
habit, le jeta hors de la chambre et le chassa le même jour, à la
joie inexprimable de Savéliitch. C’est ainsi que se termina mon
éducation.
Je vivais en fils de famille ( nédorossl 3 ) , m’amusant à faire
tourbillonner les pigeons sur les toits et jouant au cheval fondu
avec les jeunes garçons de la cour. J’arrivai ainsi jusqu’au delà de
seize ans. Mais à cet âge ma vie subit un grand changement.
Un jour d’automne, ma mère préparait dans son salon des
confitures au miel, et moi, tout en me léchant les lèvres, je
regardais le bouillonnement de la liqueur. Mon père, assis pris de
la fenêtre, venait d’ouvrir l’Almanach de la cour , qu’il recevait
chaque année. Ce livre exerçait sur lui une grande influence ; il ne
le lisait qu’avec une extrême attention, et cette lecture avait le don
de lui remuer prodigieusement la bile. Ma mère, Qui savait par
cœur ses habitudes et ses bizarreries, tâchait de cacher si bien le
malheureux livre, que des mois entiers se passaient sans que
l’ Almanach de la cour lui tombât sous les yeux. En revanche,
quand il lui arrivait de le trouver, il ne le lâchait plus durant des
heures entières. Ainsi donc mon père lisait l’ Almanach de la cour
en haussant fréquemment les épaules et en murmurant à demi-
voix : « Général !… il a été sergent dans ma compagnie. Chevalier
des ordres de la Russie !… y a-t-il si longtemps que nous… ? »
Finalement mon père lança l’Almanach loin de lui sur le sofa et
resta plongé dans une méditation profonde, ce qui ne présageait
jamais rien de bon.
« Avdotia Vassiliéva 4 , dit-il brusquement en s’adressant à ma
3 Ce mot signifie qui n’a pas encore sa croissance. On appelle
ainsi les gentilshommes qui n’ont pas encore pris de service.
4 Avdolia, fille de Basile. On sait qu’en Russie le nom
patronymique est inséparable du prénom, et bien plus usité que le
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